LA FRANCITÉ FAMILIOSCOLAIRE

Chez les francophones vivant en milieu minoritaire, un degré élevé de francité familioscolaire est nécessaire pour favoriser chez les enfants un bilinguisme de type additif.

Qu’est-ce que la francité familioscolaire ?
La francité familioscolaire est un terme qui désigne la présence et l’usage du français dans la famille et à l’école. Chez les francophones vivant en milieu minoritaire, un degré élevé de francité familioscolaire est nécessaire pour favoriser chez les enfants un bilinguisme de type additif. Il y a bilinguisme additif lorsque l’apprentissage d’une langue ne menace pas le maintien ou l’acquisition d’une autre langue.

En contexte minoritaire, la dominance de la langue majoritaire a souvent pour effet de favoriser un bilinguisme soustractif. Le contact avec la langue majoritaire est d’une telle intensité que la langue minoritaire s’y trouve négligée, étouffée. L’apprentissage de la langue majoritaire se fait alors au détriment de la langue de la minorité. Chez les membres d’une minorité, le bilinguisme soustractif mène graduellement à l’assimilation linguistique et à la perte de l’identité culturelle.

Comment la francité familioscolaire peut-elle favoriser le bilinguisme additif ?
Pour qu’un enfant devienne francophone, il ne suffit pas qu’il ait un parent ou des parents francophones. Il importe qu’il soit socialisé dans la langue et dans la culture françaises. Pour qu’il puisse bien apprendre l’anglais et devenir bilingue, il doit aussi être en contact avec la langue et la culture anglaises. Comment alors équilibrer les contacts entre les deux langues ?

Le modèle des balanciers compensateurs (figure 1)1 illustre les conditions gagnantes qui favorisent le bilinguisme additif. Ce modèle regroupe en trois milieux de vie toutes les instances de socialisation langagière ou de vécu langagier d’un jeune : le milieu familial, lemilieu scolaire et le milieu socio institutionnel.

Figure 1
Modèle des balanciers compensateurs

p familioscolaire1

En d’autres termes, l’enfant sera en contact avec une ou plusieurs langues dans sa famille, à l’école et dans de nombreux contextes que lui offre la société.

La partie supérieure du modèle montre les conditions du bilinguisme additif lorsque l’enfant est membre d’un groupe minoritaire ou de faible vitalité. La partie inférieure montre comment le bilinguisme additif est favorisé lorsque l’enfant est membre d’un groupe majoritaire de forte vitalité. On peut imaginer une troisième possibilité, celle de l’enfant dont un des parents est membre du groupe majoritaire et l’autre, membre du groupe minoritaire. Il s’agit alors d’un mariage interlinguistique, d’une situation d’exogamie. Le couple francophone-anglophone est dit exogame et les couples dont les deux parents sont issus du même groupe linguistique sont dits endogames.

Comme le montre la figure 1, pour les membres d’un groupe minoritaire ou de faible vitalité, les contacts avec la langue seconde (L2) sont largement dominants dans le milieu socioinstitutionnel. La langue majoritaire domine pratiquement toutes les activités de la société. Pour promouvoir le développement de la langue minoritaire (L1), deux actions sont possibles : favoriser le développement de la langue minoritaire dans la famille et à l’école (voir flèche descendante) et assurer à l’enfant d’autres contacts avec la L1 dans le milieu socioinstitutionnel qui viennent aider la famille et l’école à contrebalancer les effets dominants de la L2 (flèche ascendante). Chez les francophones minoritaires, il y a une forte francité familioscolaire lorsque la famille et l’école appuient le développement de la langue française. Les parents parlent le français à leur enfant à la maison et l’enfant est scolarisé dans une école de langue française. Tout l’enseignement se fait en français, sauf pour les cours d’anglais.

Chez les francophones minoritaires, il y a une forte francité familioscolaire lorsque la famille et l’école appuient le développement de la langue française.

Pour les enfants d’un groupe majoritaire ou de forte vitalité, les conditions du bilinguisme additif sont différentes (voir bas de la figure 1). Chez ce groupe, la langue première (L1) est dominante dans la famille et dans le milieu socioinstitutionnel et, pour la plupart, dans le milieu scolaire également. De telles conditions ont tendance à favoriser l’unilinguisme.Au Canada, seulement 7 % des anglophones vivant à l’extérieur du Québec connaissent le français suffisamment pour soutenir une conversation2.

Deux conditions favorisent le bilinguisme chez les enfants du groupe majoritaire : une forte scolarisation dans la L2 (voir flèche descendante) et des contacts fréquents avec la L2 dans le milieu socioinstitutionnel (flèche ascendante). Ces deux conditions favorisent un bilinguisme additif, car la langue majoritaire n’est pas menacée en raison de sa dominance dans la société. De nombreuses recherches appuient, par exemple, les effets positifs des programmes d’immersion en français pour les élèves anglophones3. De plus, le bilinguisme des élèves anglophones est accru lorsqu’ils ont également des contacts fréquents avec le français à l’extérieur de l’école4.

Un principe simple
Que l’enfant soit membre d’un groupe minoritaire ou d’un groupe majoritaire ou qu’il soit issu d’une famille exogame, un principe très simple explique les conditions favorables au bilinguisme additif. Il s’agit simplement de mettre en oeuvre des conditions qui appuient fortement le développement de la langue minoritaire, c’est-à-dire celle qui a la plus faible vitalité.

Pour les élèves anglophones majoritaires, plus la scolarisation en français est forte et plus les élèves ont des contacts avec le français à l’extérieur de l’école, plus élevé est le degré de bilinguisme. Leur maîtrise de la langue anglaise n’est aucunement menacée.

Pour les élèves francophones minoritaires, plus la famille et l’école appuient le développement du français, plus le bilinguisme est de type additif. Le rendement en français est élevé et le rendement en anglais est souvent similaire à celui des anglophones en raison des cours avancés d’anglais langue seconde et d’un usage régulier de l’anglais dans le milieu socioinstitutionnel5.

Pour les enfants de familles exogames (un parent francophone et un parent anglophone) en contexte francophone minoritaire, un degré élevé de francité familioscolaire devient également garant d’un haut degré de bilinguisme additif. Lorsque le parent francophone maintient l’usage du français avec l’enfant (même si le parent anglophone communique avec ce dernier en anglais) et que l’enfant est scolarisé à l’école française, l’enfant a un rendement en français égal à celui des enfants nés de deux parents francophones et un rendement en anglais semblable aux enfants anglophones6.

Pour les élèves francophones minoritaires, plus la famille et l’école appuient le développement du français, plus le bilinguisme est de type additif.

La famille exogame : une cause de l’assimilation ?
Il y a une forte tendance pour les familles exogames francophone-anglophone à l’extérieur du Québec à ne pas transmettre la langue française aux enfants. Par exemple, si les deux parents sont francophones, 93 % des enfants ont le français comme langue maternelle. Toutefois, si un seul des deux parents est francophone, seulement 23 % des enfants ont le français comme langue maternelle7. Idéalement, dans ces familles exogames, tous les enfants auraient le français et l’anglais comme langues maternelles.

La recherche a démontré, toutefois, que ce n’est pas l’exogamie qui est la cause de l’assimilation linguistique, mais plutôt la dynamique langagière choisie par les parents8. Tel qu’il a été mentionné précédemment, lorsque le principe des balanciers compensateurs (figure 1) est appliqué par les parents exogames, c’est-àdire lorsque l’enfant est amené à vivre une francité familioscolaire élevée, le bilinguisme additif est fortement favorisé. L’enfant maintient les deux identités ethnolinguistiques de ses parents et maîtrise les deux langues officielles du pays.

L’enseignement 50/50 comme compromis ?
Des sondages auprès de parents ayants droit selon l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés montrent que plusieurs parmi eux pensent que le programme scolaire idéal pour leur enfant comprendrait un enseignement 50/50, c’est-à-dire la moitié des cours en français et l’autre moitié en anglais9. À leur avis, ce compromis favoriserait le bilinguisme. La faille fondamentale de cette logique est l’attribution entière du développement du bilinguisme au milieu scolaire. On oublie les rôles du milieu socioinstitutionnel et du milieu familial. Le modèle des balanciers compensateurs montre que l’école et la famille doivent plutôt viser à contrebalancer les effets puissants du milieu social où la langue anglaise est largement dominante.

D’autres parents, particulièrement les couples exogames, choisissent les programmes d’immersion en français du système scolaire anglophone dans le but d’assurer le bilinguisme de leur enfant. Encore ici, ce compromis ne produit pas de résultats optimaux. Les élèves des programmes d’immersion n’atteignent pas un rendement en français similaire à celui des élèves des écoles françaises et maintiennent une identité ethnolinguistique surtout anglophone10.

Il y a une forte tendance pour les familles exogames francophone-anglophone à l’extérieur du Québec à ne pas transmettre la langue française aux enfants. [ … ] La recherche a démontré, toutefois, que ce n’est pas l’exogamie qui est la cause de l’assimilation linguistique, mais plutôt la dynamique langagière choisie par les parents.

Pour les familles exogames, le degré le plus élevé de bilinguisme et le meilleur équilibre entre les deux identités culturelles chez leur enfant sont associés à un choix réfléchi et éclairé, celui de miser sur le rôle compensateur de la francité familioscolaire.

Références

Deveau, K., Clarke, P. et Landry, R. (2004). Écoles secondaires de langue française en Nouvelle-Écosse : des opinions divergentes. Francophonies d’Amérique. (sous presse)

Genesee, F. (1998). French immersion in Canada. In J. Edwards (Ed.) Language in Canada (p. 305-326). Cambridge: Cambridge University Press.

Genesee. F. (1987). Learning through two languages. Cambridge: Newbury House.

Landry, R. (2003). Libérer le potentiel caché de l’exogamie. Profil démolinguistique des enfants des ayants droit francophones selon la structure familiale. Moncton : Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques/Commission nationale des parents francophones.

Landry, R. (1995). Le présent et l’avenir des nouvelles générations d’apprenants dans nos écoles françaises. Éducation et francophonie, 22, 13-23.

Landry, R. et Allard, R. (2000). Langue de scolarisation et développement bilingue : le cas des Acadiens et francophones de la Nouvelle-Écosse, Canada. Diverscité Langues, [En ligne] Disponible : http://www.teluq.uquebec.ca/diverscité/entree.htmhttp://www.teluq.uquebec.ca/diverscité/entree.htm

Landry, R. et Allard, R. (1997). L’exogamie et le maintien de deux langues et de deux cultures : le rôle de la francité familioscolaire. Revue des sciences de l’éducation, 23, 561-592.

Landry, R. et Allard, R. (1994a). Profil sociolangagier des francophones du Nouveau-Brunswick. Moncton, (N.-B.) : Université de Moncton, Centre de recherche et de développement en éducation, Groupe de recherche sur la vitalité de la langue et de la culture.

Landry, R. et Allard, R. (1994b). Profil sociolangagier des Acadiens et francophones du Nouveau-Brunswick. Études canadiennes/Canadian Studies, 37, 211-236.

Landry, R. et Allard, R. (1993). Beyond socially naive bilingual education: The effects of schooling and ethnolinguistic vitality on additive and subtractive bilingualism. Annual Conference Journal of the National Association for Bilingual Education, 1-30.

Landry, R. et Allard, R. (1991). Can Schools Promote Additive Bilingualism in Minority Group Children? In L. Malavé & G. Duquette (Eds.), Language, Culture and Cognition. (p. 190-197). Great Britain: Billing and Sons Ltd.

Landry, R. et Allard, R. (1990). Contact des langues et développement bilingue : Un modèle macroscopique. The Canadian Modern Language Review/La Revue canadienne des langues vivantes, 46, 527-553.

Saindon, J. (2002). Réseau individuel de contacts linguistiques et développement psycholangagier chez les membres d’un groupe linguistique majoritaire. Thèse de doctorat, Université Laval.

Statistique Canada (2002) Profil des langues au Canada : l’anglais, le français et bien d’autres langues. Dans Recensement de 2001 : série « analyses ». Catalogue no 96F0030 XIF2001005.

 

1 Landry, R. et Allard, R. (1990).

2 Statistique Canada (2002).

3 Voir, par exemple, les recensions de Genesee (1987, 1998).

4 Saindon (2002).

5 Landry (1995); Landry et Allard (1991, 1993, 1997, 2000).

6 Landry et Allard (1997).

7 Landry (2003).

8 Landry et Allard (1997).

9 Landry et Allard (1994a, 1994b); Deveau, Clarke et Landry (2004).

10 Landry et Allard (1993).

 

Source : Parents.comme/nous – Le 26 janvier 2006 Numéro 9